L’ÈRE DU « CO- » : MODE OU RÉELLES INTENTIONS ?
Co-construction, coopération, cooptation, co-développement, co-working, coordination ou encore collaboration, nous voyons tous fleurir ces termes dans le champ lexical de la presse spécialisée de l’entrepreneuriat ou encore dans nos entreprises. Vous l’aurez compris, l’ère du CO- est venue ! Vous n’aurez donc pas d’autres choix que de vous y conformer.
Si dans l’idée, l’utilisation de ces différents termes dans nos organisations est bien de rassembler plusieurs identités ou personnes dans un but précis d’améliorer les conditions de travail ou les performances des organisations, ce qui est tout à fait louable; la finalité des actions qui devraient en découler est pourtant parfois galvaudée.
Pourquoi ? L’idée même de réunir les forces d’au moins deux personnes autour d’un même objectif, en pensant que cette idée serait gagnante du simple fait d’additionner ces forces, est bien souvent plus forte que de réellement saisir les opportunités qui pourraient découler de la combinaison de ces mêmes forces. En psychologie sociale, le phénomène est bien défini par le terme de « paresse sociale ». Maximilien Ringman (ingénieur agronome du XIXe siècle) décrivait déjà ce phénomène en 1882 suivant lequel les individus tendent à diminuer les efforts qu’ils fournissent en groupe, et ce de façon proportionnelle à la taille du groupe. Cela peut s’expliquer de différentes façons : manque de coordination, impact social, absence d’évaluation, diminution de la motivation.
Les exemples dans nos organisations sont nombreux, je vous en citerai deux que j’ai déjà vécu dans différents contextes. Un travail de co-construction qui avait pour but de réunir les idées et les compétences de plusieurs personnes et entités pour construire un projet d’envergure. Ce projet n’a jamais vu le jour car il était orienté comme étant une somme de compétences à agglomérer et non une opportunité de construire un projet innovant autour de possibles synergies. Autre exemple, un réseau d’affaire qui avait pour but de créer des synergies, de la collaboration entre ses membres pour être plus forts ensemble. Cette idée n’a pas fonctionné car les forces en présence représentaient plus une somme de talents individuels qu’une réelle intention de créer des opportunités d’affaires liées aux partages des connaissances et des compétences.
On pourrait également prendre en exemple des fusions de grandes sociétés dont la mise en commun de compétences devait faire émerger un mastodonte. Au final, vous avez sans doute observé que cela n’était pas toujours le cas.
Vous l’aurez compris, si ces phénomènes nouveaux (-co) ne sont pas construits dans les organisations avec le concours des individus, les effets de la paresse sociale peuvent donc se faire ressentir.
S’agirait-il donc de posture, de mode ?
Non…
Cette « ère du co- » est positive dans le sens premier du terme qui est de travailler avec l’autre (préfixe latin « avec »). Nous pouvons travailler sur des axes d’amélioration comme l’implication des individus dans l’effort collectif, la responsabilisation des membres d’un groupe, en évitant la routine, en rendant les tâches plus attractives, en travaillant sur la cohésion de groupe, etc.
En revanche, si nous devons tous nous inscrire dans une réelle démarche afin de travailler et construire ensemble l’activité du travail, il n’en demeure pas moins que les organisations ont également leur rôle à jouer.
Oui…
Dans la mesure où l’activité du travail ne se déroule pas dans un contexte réellement investit et nourrit de vrais intentions, il s’agit bien alors d’un phénomène de mode voire de posture. Si encore une fois, l’intention reste louable, certains systèmes actuels d’organisations ne permettent pas de se pencher sur la dimension humaine de l’activité du travail. Bien souvent, les individus doivent composer entre un travail attendu et un travail prescrit et ce à l’aide de moyens matériels et humains. Les individus sont donc souvent amenés à trouver des mécanismes de régulation pour pallier aux contraintes que ces nouvelles modes et postures imposent dès lors qu’elles ne sont pas décidées et travaillées collégialement. A un certain degré, un système d’organisation scientifique du travail (exemple « taylorisme1 ») où l’individu est amené à réguler les contraintes de l’activité de travail peut avoir des conséquences néfastes pour l’ensemble de l’entreprise (stress, burnout, RPS…).
« Vers la fin d’un système classique d’organisation scientifique du travail ? »
Un système classique d’organisation scientifique du travail (Taylorisme, Fordisme, Toyotisme) n’a donc pas sa place dans cette « ère du co- ». Il est donc essentiel d’aborder ces phénomènes en construisant l’activité du travail de l’organisation avec les individus qui la composent. Nous devons nous interroger sur les évolutions des systèmes d’organisation et de la place du sens de l’activité du travail (valeur et importance du travail) afin de nourrir cette « ère du co- » de réelles intentions. Tous les indicateurs démontrent qu’il faut impliquer d’avantage les individus dans les organisations et repenser les pratiques managériales, qu’une transformation devient nécessaire ; d’après l’étude de l’Institut Gallup3 publiée en 2018, seuls 6% des salariés français affirment être engagés au travail, c’est-à-dire très impliqués à la tâche et enthousiasmés par leurs missions professionnelles. Selon une autre enquête menée par Bpifrance le Lab2 de 2019, 74% des dirigeants de PME-ETI estiment qu’il est important de repenser leurs pratiques managériales pour améliorer la performance de leur entreprise.
OUI, il faut que les entreprises mettent en place des systèmes d’organisation où les individus co-construisent, coopèrent, cooptent, co-développent, co-work, coordonnent ou encore collaborent. Cela passe, bien entendu, par un management construit autour d’un cadre spécifique nourrit de valeurs, d’une certaine vision favorisant la transparence, la communication, dans une sphère bienveillante de codécision et de coopération entre les individus et où la place du manager est celui d’un chef d’orchestre.
Le contexte actuel, une réelle opportunité à saisir !
Si le contexte morose actuel de crises (sanitaire, économique, écologique, générationnelle et sociétale) peut apparaitre comme un frein pour les organisations, il nous force à repenser l’activité du travail.
Prenons pour exemple le développement du télétravail dans la crise sanitaire de la Covid-19. Si le télétravail peut apparaitre comme une forme de travail ne facilitant pas les échanges entre les individus, les organisations ont dû adopter et mettre en place très rapidement des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour garder la continuité de l’activité du travail. Dans ce cas précis, si les individus en télétravail composent avec la situation et les moyens de communication, des plateformes d’échanges permettent de maintenir le lien avec les salariés, voire de développer l’échange et leur participation. Il n’en demeure pas moins que les organisations doivent informer, accompagner et former les individus pour rendre ces TIC accessibles. Elles doivent également utiliser ces TIC comme un véritable espace d’échange pour favoriser l’implication de ces utilisateurs. Le télétravail a donc permis, dans certains cas, de favoriser les échanges, de co-construire des espaces de travail et d’échanges notamment grâce à des plateformes comme Klaxoon (le board). Les individus deviennent acteurs de leur moments d’échanges qui sont favorisés par les possibilités créatives qu’offrent cet outil, le tout orchestré par leur manager. Cela permet de donner du sens à l’activité du travail dans un contexte de distanciation.
Autre défi, autre exemple, l’intégration de la génération Z dans les organisations. Dans un cadre de vieillissement de population active, il devient de plus en plus difficile d’attirer de nouveaux talents, ceux de la génération Z, qui dans leurs prérequis de choix d’organisation préfèrent des entreprises tournées vers l’avenir et qui intègrent pleinement la notion de bien-être au travail ; selon une étude menée par Mazars et Opinion Way4, la génération Z exprime un besoin d’indépendance, est séduite par les nouvelles formes de travail et ne souhaite pas un système d’organisation vertical. Cette génération réclame des responsabilités, d’être co-impliquée dans une activité du travail co-construite. Elle a une vision d’un management horizontal où le manager serait plus un chef d’orchestre animateur, coach ou mentor.
« Des gains substantiels pour les individus, pour les entreprises ? »
Dans ces deux exemples, la participation réelle des individus dans des espaces créatifs de collaboration, de coordination, de co-construction, de coopération, de cooptation, de co-développement, de co-working, est donc plébiscitée. Les entreprises ont tout à gagner dans cette « ère du co- » dès lors qu’elles développent et mettent en place un système d’organisation adéquat nourrit de réelles intentions.
Les entreprises qui ne s’orienteraient pas dans cette direction de « l’ère du co- » survivront-elles à ces différentes crises et à ce virage à prendre qui se précise (technologique, générationnel) ? Si l’avenir proche nous le dira, il n’en demeure pas moins que celles qui n’avaient pas pris le train en marche de la transformation digitale ne sont plus là pour en témoigner. CQFD ?
Autre questionnement, adopter véritablement « l’ère du co- » pourrait-elle être une bonne opportunité de progrès pour contrer l’absentéisme, le mal-être et la souffrance au travail mis en lumière par les travaux d’Yves Clot ou encore Christophe Dejours ? Cette question fera l’objet d’un prochain article. A suivre…
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A propos de cet article : il s’agit ici de poser un constat sur un sujet donné et actuel afin d’y apporter un regard neuf ouvrant à la discussion. Ce constat est issu d’un travail de recherche (articles, livres, reportages, revues), d’axes de réflexion et de retours d’expérience. J’attends donc vos avis.
Un travail de COllaboration :
Article rédigé par David SALVADORE, dirigeant depuis 7 ans de l’organisme de formation 5 Sens Conseils, ex-Manager qualité & formation pendant 10 ans, D.U. en psychologie de l’Homme au travail. David accompagne les entreprises pour faire évoluer la COmmunication, repenser les pratiques managériales et améliorer le relationnel.
Représentation graphique et travail de relecture, Ève Gambier-Juppin, Docteur en sociologie des organisations, ex-Responsable Développement RH & qualité pendant 15 ans, Eve est depuis 7 ans consultante en organisation. Depuis 1 an, elle accompagne également ses clients en utilisant la « facilitation graphique » pour amener COllaborateurs, managers et dirigeants à partager une vision COmmune.
A propos de 5 Sens Conseils : OF spécialisé en formation management, formation communication et QVT, basé à Strasbourg.
Bibliographie :
1 . Taylorisme : Frederick Winslow Taylor (1856-1915), ingénieur de formation propose une organisation du travail orienté sur la division du travail (la science du travail) où les tâches à effectuer répondent à une logique de productivité. Ces tâches doivent donc être efficaces, c’est-à-dire, mesurées, découpées en tâches simples et examinées pour supprimer ce qui n’est pas productif. Elles sont répétitives et donc performantes. Pour Taylor, l’ouvrier n’a ni d’esprit, ni pensée, il a besoin d’être dirigé.
2. Bpifrance Le Lab, La gouvernance des PME-ETI, Levier de confiance et de performance, décembre 2019.
3.Larah Marchand – Productivity Booms in France, but Engagement Needs Help – Gallup, 21 juin 2018.
4. Étude menée par Mazars et Opinion Way – FUTURE OF WORK : quelles attentes de la Gen Z pour l’entreprise de demain ? https://online.mazars.fr/etude-gen-z